Soyez le bienvenu, cher lecteur, dans ce petit coin virtuel de ce réseau qu’on appelle, par quelque malheureux anglicisme, l’Internet. Il serait pour le moins naïf de douter que la langue de Molière, de Verne et de Dumas puisse trouver une meilleure appellation à ce merveilleux phénomène. Je dis bien phénomène, car appeler invention ce réseau si archaïque et si riche en diverses manifestations de la créativité humaine, ce serait supposer qu’il a été le fruit de la conception de quelques esprits intentionnés et non la manifestation spontanée formée par les échanges et les frictions entre des milliers et des millions d’hommes durant de longues années.
Eh bien, ce coin virtuel — pardonnez-moi d’insister sur cette virtualité — car je préfère être précis dans mes termes par crainte d’employer une locution aussi insensée que celle prisée par les âmes débordantes d’enthousiasme qui vous recommandent de « vous donner à 200 % » pour un objectif quelconque, comme le match de rugby universitaire du jeudi soir, par exemple. Sachez que cette locution est en vérité si déconnectée de la réalité qu’il est difficile de la mettre dans un contexte qui ferait sens. En effet, par définition, les 100 % de nos efforts constituent l’entièreté des efforts dont nous serions physiquement capables, et nous aurions peu de chances d’en sortir indemnes, car nous serions amenés à soumettre notre corps à une épreuve exactement à la limite de ce qu’il peut endurer.
Donc ce coin virtuel existe parce que, par envie de se distinguer, votre humble serviteur voulut un jour posséder un nom de domaine tout à lui pour devenir le détenteur d’une adresse électronique unique.
Initialement intéressé par le nom de domaine gorg.org, un instant d’hésitation suivi d’un ajournement procrastinatif jusqu’au lendemain valut à votre tout dévoué la perte de ce dernier. Après avoir recherché le domaine à l’achat sur un site marchand de noms de domaine connu des lecteurs les plus raffinés comme détenteur de la fonction de registrar, dès le lendemain le domaine n’était plus disponible. Cette tournure de circonstances pour le moins suspicieuse laisse soupçonner quelque conspiration de groupe ou bien la corruption du système par quelque individu malhonnête qui aurait trouvé un moyen de repérer les noms de domaines convoités par les honnêtes gens dans le but de prendre ces derniers en otage. Pratique exécrable pour la victime d’un tel manège, tel votre fidèle serviteur.
Manège d’autant plus frustrant qu’à présent la page en question exhibe un semblant de publicité proposant d’acheter le nom de domaine à qui le veut. Publicité dont vous ne nierez sûrement pas, après en avoir pris connaissance, le caractère grotesquement dérisoire qui donne l’impression qu’elle a été rédigée par un pauvre esprit malade dont le manque de la lettre « G » a été la cause du traumatisme. On croirait que le pauvre hère a été enfermé dans un cachot du château d’If pendant des années et que sa seule supplice était la drogue administrée par des fantômes chaque fois qu’il vénérait suffisamment longtemps et avec assez de ferveur la lettre en question. Après avoir été sauvé de son cachot, le pauvre bougre a perdu l’accès à cette ambroisie divine livrée par les esprits des malheureux prisonniers des caves, mais il insiste avec ténacité, sans perdre l’espoir qu’un jour sa potion magique lui sera redonnée.
Après ce malheureux tour de la providence, votre plus fidèle serviteur s’est résigné à ne posséder qu’un domaine finissant par « .fr » et à trouver son bonheur dans d’autres aspects de sa vie que la détention d’un nom de domaine qui semblait si parfaitement conçu pour sa modeste personne.